Lectures du Couronnement de Louis
La chanson de geste est fondatrice de notre société; rapportant les exploits des premiers héros, Roland et Olivier, elle conforte l'empereur dans sa fonction, affirme le soutien divin, et surtout établit des modèles. Mais Roland et Olivier meurent à Roncevaux, Vivien meurt aux Aliscans, et Charlemagne n'est plus. L'univers mythique des héros fondateurs n'a eu qu'un temps. Le cycle de Guillaume d'Orange reconstruit l'univers épique, s'appuyant constamment sur ces illustres modèles; il en prend le contrepied d'une certaine façon: on est capable à présent de vaincre les Sarrasins, de conquérir Orange et Nîmes, et de survivre aux défaites qui ne sont que des revers provisoires: si Vivien meurt aux Aliscans, Guillaume bat en retraite, mais revient quelque temps après avec des forces nouvelles pour arracher la victoire. Les héros survivent, et l'idéal n'est plus celui du martyre chrétien, mais de la vie seigneuriale, même si elle se conclut dans un moniage. Il est question de mariages, de conquête de villes et de chasements, il est question surtout de la fidélité au prince. Alors que Charlemagne était le souverain exemplaire, celui que seul un traître comme Ganelon pouvait imaginer trahir, Louis est comme une absence de prince, qui n'incarne plus transcendance ni vaillance. Mais dans Le Couronnement de Louis, il est sacré roi puis empereur, et est le garant de la justice et d'une société en ordre: s'il est incapable de les faire respecter lui-même, c'est son plus fidèle vassal, Guillaume, qui le fera en son nom: le royaume ainsi constitué est sauf, sauvé par ses sujets mêmes. La chanson de geste crée ainsi une utopie politique au service des capétiens, où l'état est légitimé d'en bas sous le regard bienveillant de Dieu et non plus par l'arrogance des princes cherchant leur intérêt personnel; une utopie où la justice règne par la force des meilleurs vassaux, où le pouvoir est assuré quoi qu'il arrive; c'est la naissance de ce monde nouveau que raconte Le Couronnement de Louis.
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