Le cas des cantons de Bugeat et de Treignac (1870-1989)
Cet ouvrage apporte un éclairage bienvenu sur deux cantons à la fois hautement représentatifs de la singularité politique limousine et désormais situés au cœur d'une circonscription et d'un département témoins.La Montagne limousine présente un intérêt politique majeur. Nulle part ailleurs le double paradoxe limousin mis en lumière par Alain Corbin n'est aussi net : discordances entre une ruralité extrême et une constante orientation " très " à gauche d'une part, et d'autre part entre la modernité des attitudes politiques et un archaïsme longtemps dominant. En enrichissant sa réflexion d'une perspective ouvertement régionale, Eric Moratille contribue ainsi à son tour à la résolution de l'énigme que constitue le fait ethnopolitique limousin. Les cantons de Bugeat et de Treignac, emblématiques de la Montagne rouge, appartiennent de surcroît à une Haute Corrèze devenue, depuis le changement spectaculaire de majorité électorale sous la Ve République, ce qu'il est convenu d'appeler la " Chiraquie " ; autre paradoxe abordé avec pertinence. Cette étude fournit de précieuses indications et offre des éléments de réflexion sur la signification de ce phénomène complexe : " cassure " ou simple " épisode " ? À l'intérêt présenté par le champ d'investigation au regard de la science politique répondent les qualités d'un travail qui tire habilement parti de ce sujet prometteur. Eric Moratille traite avec bonheur de l'histoire contemporaine locale. La finesse de l'observation est servie par une parfaite connaissance du milieu étudié et la richesse de l'appareil scientifique. L'analyse, minutieuse, nourrie par une curiosité exigeante, révèle une véritable passion pour la terre natale, passion qui n'entame en rien la rigueur de l'étude. À lire Eric Moratille, on se convainc aisément de la justesse de cette observation de l'ethnologue Anne Stamm : " Après la terre, l'autre grande passion, au plateau, est la politique ".
L'ouvrage montre comment "en quarante années, Eymoutiers s'est créé une place de choix dans le cadre de cette légende rouge du Limousin évoquée par Alain Corbin", et analyse ce vote pour le socialisme, puis pour le communisme, devenu peu à peu une véritable tradition locale. Eymoutiers fait figure de véritable laboratoire : chef-lieu d'un canton qui devient dès 1910 socialiste et dès 1922 communiste. L'auteur en inscrivant son analyse dans cette perspective régionale enrichit la connaissance des indicateurs majeurs de la configuration politique limousine. Il s'agit ainsi d'une véritable radiographie politique d'Eymoutiers sous la IIIe République.
L'auteur démontre par une analyse minutieuse comment la Marche limousine est devenue, pour sa plus grande partie, la Creuse. Établi par-delà le maquis des circonscriptions et des ressorts de l'Ancien Régime, le découpage départemental n'a rien d'arbitraire. A cet égard, le département, "héritier de la province de la Marche", constitue "un cas exemplaire", fournit une illustration d'une particulière netteté de la cohérence nouvelle introduite par les constituants dans les rapports entre espace et pouvoir. Puis l'auteur analyse, après son enracinement, le rôle contemporain du département, s'interroge, avec optimisme, sur son devenir, même s'il s'agit aujourd'hui du "département à l'épreuve de la régionalisation".