" C'est l'œuvre de toute ma vie ", dit Flaubert en évoquant La Tentation de saint Antoine. Les manuscrits enregistrent sur près de trente ans l'évolution de l'écrivain et de son époque, des transformations esthétiques et épistémologiques. Flaubert en écrit une première version avant Madame Bovary et il ne publie le dernier texte qu'en 1874, six ans avant sa mort. La transcription, le classement et la présentation des scénarios rédigés à la fin des années 1840 et au début des années 1870 donnent accès au laboratoire d'une œuvre qui aborde les grandes questions de son époque sur les religions, la morale et l'origine de la vie en utilisant parfois des savoirs scientifiques contemporains. Le lecteur découvrira à la fois les méthodes de travail de Flaubert et la formation d'une œuvre atypique, érudite et onirique, qui explore l'inconscient d'un ermite tourmenté de désirs et d'angoisses. C'est un autre Flaubert à la fois romantique et pré-symboliste que les scénarios de La Tentation de saint Antoine laisseront entrevoir aux lecteurs de Madame Bovary et de L'Éducation sentimentale. Il voulait laisser tout ignorer de lui-même à son public, mais il prête à saint Antoine un goût de l'étrange, une fascination pour les images exubérantes et les excentricités de l'Antiquité qu'il partage avec son personnage. Saint Antoine, c'est lui? Laissons le lecteur en juger.
L'écriture épistolaire dans la correspondance et dans l'oeuvre
Flaubert romancier a toujours revendiqué le caractère impersonnel de ses écrits. C'est pour lui un parti pris esthétique fondamental : l'écrivain ne parle pas de lui-même dans son œuvre, laquelle doit rester étrangère à l'expression intime de soi. Or Flaubert est aussi un épistolier prolixe. Faut-il alors voir seulement dans sa correspondance un exutoire à l'ascèse personnelle imposée par ses conceptions artistiques ? De la voix publique à la voix privée se tissent des relations bien plus subtiles. Amélie Schweiger, en confrontant la correspondance et l'œuvre et en examinant également l'inscription des lettres dans les textes littéraires, montre comment écritures littéraire et épistolaire sont étroitement liées. L'expression de soi et l'adresse, selon ce système je/tu qui structure l'échange épistolaire, accompagne, comme en miroir et non sans tensions, l'émergence et le cheminement de l'écrire impersonnel.
Parmi les femmes aimées par Flaubert, la plus mystérieuse de toutes est Juliet Herbert, dont il ne subsiste aucun portrait ni aucune lettre. Hermia Oliver raconte ici sa quête de cette Anglaise, qui fut la gouvernante de Caroline, la nièce de Flaubert, puis pendant vingt ans une des proches du romancier. En recourant aux recensements, aux testaments, aux registres paroissiaux et aux lettres échangées entre divers correspondants, l'auteur revient sur les années que Juliet a passées à Croisset, ainsi que sur les voyages de Flaubert en Angleterre et les séjours de Juliet à Paris. Au fil des indices qui permettent de suivre l'histoire de Juliet, c'est aussi un nouveau portrait de Flaubert qui se dessine, très différent du misanthrope peint par certains de ses biographes. L'ouvrage aide à comprendre comment il intégrait des souvenirs de voyage à ses écrits, et pourquoi il ne subsiste aucune lettre échangée entre lui et Juliet.
Quatre textes inédits de Flaubert ont été retrouvés, dont l'édition scientifique a été assurée par le Centre Flaubert de l'université de Rouen : Alfred, Bal donné au Czar, Mon pauvre Bouilhet, Vie et travaux du R.P. Cruchard.
L'actuelle bibliothèque de Gustave Flaubert est conservée à la Mairie de Canteleu, commune dont dépend Croisset où l'écrivain a vécu. Elle comprend 1026 volumes sur les quelque 1689 possédés par Flaubert jusqu'à sa mort en mai 1880. Malgré des disparitions inexpliquées, des dons et des ventes, la littérature française possède là une des rares bibliothèques d'auteurs du 19e siècle, et dont le détenteur a été lui-même un auteur contemporain, ce qui n'a pas été le cas pour Zola, Maupassant ou les Goncourt. Composé de deux parties, l'ouvrage débute par un inventaire complet des livres composant la bibliothèque de Flaubert ; puis il débouche sur un ensemble de réflexions et d'analyses émanant de chercheurs internationaux (japonais, italien, britannique…) sur les pratiques de lecture de l'écrivain et la place du livre dans son œuvre. A noter que depuis la fin 2001, un catalogue conjectural de la bibliothèque de Flaubert sera disponible sur le site http://www.univ-rouen.fr/flaubert.
Flaubert effectue un voyage en Algérie et en Tunisie (le séjour le plus important est à Carthage) du 12 avril au 12 juin 1858, alors qu'il a commencé à rédiger Salammbô depuis six mois. Dans un petit calepin de poche (16 x 9cm), il tient un carnet de route à la fois journal intime et notes documentaires, prises en vue de son roman antique. C'est ce carnet en fac-similé et en transcription diplomatique qu'il est donné de lire.
Gustave Flaubert par sa nièce, Carole Franklin Grout
La nièce de Flaubert a évoqué dans Heures d'autrefois et Souvenirs intimes (premier texte que Caroline a consacré à son oncle) la figure de l'écrivain, et des hommes qui ont marqué son existence de femme. Ces deux textes sont ici conjointement réédités, augmentés de soixante-dix pages de notes de M. Desportes. Caroline Franklin Grout y raconte sa petite enfance où privée d'une mère (décédée peu après sa naissance) et d'un père, (écarté et - car ?- tenu pour fou), elle est élevée par une grand-mère, mais surtout par un oncle-frère-père, qui fait d'elle le double vivant de sa chère sœur défunte et sa fille adoptive ; elle y parle de son instruction, dispensée tantôt par la grand-mère, l'oncle, les gouvernantes et professeurs, mais toujours placée sous l'autorité de Flaubert ; elle y relate également son adolescence aux amours contrariés et son mariage d'épicier ; enfin, sa position d'unique héritière de l'œuvre de Flaubert, qu'elle semble avoir défendue âprement.