Comment se manifeste l'idéologie sexiste dans le discours des sciences humaines ? Pour répondre à cette question C. Michard et C. Ribéry ont choisi comme terrain d'analyse des textes de deux anthropologues (P. Clastres et M. Godelier) et d'un sociologue (P. Bourdieu). Elles fondent leur recherche sur une théorie linguistique de l'énonciation, exposée de façon concise, et démontrent avec précision le biais sexiste de ces textes, reconnus comme scientifiques, et donc objectifs. L'analyse fine des phénomènes énonciatifs (déterminations aspectuelles, modalisations, réseaux de repérage, etc.) leur permet de mettre en évidence un ensemble d'oppositions formelles, peu étudiées et non perçues. Ces oppositions, qui ne sont pas interprétables en tant que connotations dévalorisantes ou valorisantes, traversent l'ensemble des textes, et leur signification structure l'argumentation théorique : elles constituent par conséquent un élément fondamental dans la construction du sens. Pour conclure, C. Michard et C. Ribéry ancrent leur recherche linguistique dans une théorie sociologique des rapports de pouvoir et de leurs effets idéologiques, et interprètent les dissymétries sémantiques analysées comme l'expression directe, non assertée, de la pensée des sexes dans notre société. Ce document linguistique et sociologique, qui énonce son point de vue féministe, fait preuve d'une rare exigence, tant théorique que méthodologique.
Grammaire particulière du français et grammaire générale (1)Volume 6
"Le manuscrit de la présente série de leçons avait été, dès 1970, l'objet d'une première transcription destinée à fournir une lecture provisoire suffisamment sûre pour pouvoir être, sans risque de trahir la pensée de leur auteur, proposée à la consultation. C'est sur la base de cette première transcription, alors établie par une de nos étudiantes de l'époque, Mlle Marie Létourneau, que Christine Wimmer, maître assistant à la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, nous propose aujourd'hui la présente édition, que l'on peut considérer comme ne varietur, chaque lecture ayant été soigneusement collationnée avec l'original.Comme pour le volume précédent, notre collègue Guy Plante a procédé à une révision complète du texte destinée d'une part à en vérifier une dernière foi les lectures faisant problème et d'autre part, à en assurer la normalisation, principalement en ce qui a trait aux symboles et aux figure. A Joseph Pattee, archiviste au Fonds Gustave Guillaume, nous sommes redevables de la méticuleuse table analytique et du précieux index qui complètent l'ouvrage. Notre dévouée et appliquée secrétaire, Mme Line Simoneau, est responsable de la qualité du dactylogramme et des nombreux schémas qu'il contient.A tous et à chacun, nous tenons à dire nos remerciements et notre gratitude."R. Valin, W. Hirtle et A. Joly
Enseignée durant la seconde moitié du XIIIe siècle à Paris, la grammaire des Modistes témoigne du désir de comprendre les fondements de la grammaire, d'en faire un "art", une science". Il lui faut pour cela des principes, un objet, des méthodes propres. Le fonctionnement de la grammaire repose sur l'articulation de deux niveaux: le premier, où elle définit ses unités minimales, les "constructions", le second, où elle établit les règles de construction des énoncés. Les grammaires génératives contemporaines retrouveront cette démarche. D'où l'actualité de la grammaire des Modistes qui s'efforce de dégager les "modes de signifier" (d'où le nom de "modistes") et d'établir les conditions de vérité des propositions. Cette étude intéressera donc, non seulement le linguiste, mais aussi le logicien, l'historien, par sa recherche d'explication et de cohérence, son caractère "raisonné" et sa tentative de généralité et de rigueur dans le traitement concret des problèmes grammaticaux.
Le langage et la pensée, fonctionnent-ils à partir d'une raison innée ou à partir de l'expérience et des idées qui en résultent? Telle est la problématique, aux implications importantes pour l'interprétation de la nature du langage, de la pensée et de l'homme même, qui fut pour les grammairiens-philosophes l'actualité des fondements de l'ordre des mots. Car il fallait décider si l'ordre des mots était régi par les principes d'une pensée à priori ou de l'expérience, et si la grammaire relevait de la pensée abstraite ou des sensations qu'éprouvent les hommes dans des situations concrètes. C'étaient là des questions qui, par delà le domaine grammatical, impliquaient des critères relatifs à l'esthétique et à la clarté du langage, provoquant des jugements qui traduisent le rôle de l'esprit national pour l'appréciation des langues. Les réponses, dans ce débat, sont conditionnées par des positions philosophiques et même politiques pendant la Révolution et la Restauration.La présente étude suit le cheminement historique du concept d'un ordre naturel des pensées et des mots. Les controverses qu'a suscitées, au 18e siècle, la théorie rationaliste de l'ordre des mots, voient les prises de position de nombreux grammairiens et des principaux représentants des Lumières ; elles montrent, dans la réplique sensualiste même, le double postérité du cartésianisme en théorie linguistique.L'explication condillacienne de la pensée comme sensation transformée établit les bases d'une grammaire et d'une théorie du style sensualistes, dépassant les contradictions dans lesquelles le dualisme rationaliste avait trouvé son expression sur le plan grammatical: l'opposition irréductible du rationnel et de l'émotionnel, la contradiction entre les normes linguistiques déduites de prémisses logiques et la réalité linguistique. En même temps, cette théorie ouvre la perspective de l'évolution historique de l'ordre des mots, éliminant son interprétation en fonction d'un type fondamental de valeur universelle. Mais la théorie de l'ordre naturel aura la vie dure et fournira longtemps encore des arguments afin de prouver la construction dite logique et donc la clarté exceptionnelle du français.
Les études réunies dans ce volume portent sur des domaines différents de la linguistique: syntaxe, sémantique, morphologie. Elles présentent aussi des points de vue différents: discussions de modèles issus de la théorie de Chomsky, analyses de données dans la ligne de la méthode de Harris.Mais à travers cette variété, une démarche commune se dégage clairement et c'est elle qui définit l'objectif d'ensemble de cet ouvrage: chaque article est, à sa manière, une question posée à la linguistique sur son domaine, ses méthodes, ses limites. Cette démarche commune est donc une interrogation qui se développe essentiellement autour des problèmes suivants:-la confrontation des données et des modèles.-les limites du domaine formalisable dans une théorie linguistique.-les implications théoriques et idéologiques du choix des exemples sur lesquels se fonde une grammaire.Ces problèmes sont abordés à partir de travaux portant sur quelques points précis de grammaire: "les déterminants", "l'interrogation", "les mots dérivés", "les exemples". Ce volume s'adresse donc aussi bien à ceux qu'intéresse l'étude de ces quatre points qu'à ceux qui y chercheront une réflexion sur la démarche des linguistes, sur la construction des théories en grammaire.