Jacques Lusseyran (1924-1971), écrivain et essayiste aveugle, est aussi une figure méconnue de la Résistance intérieure française durant la Seconde Guerre mondiale (il fut déporté à Buchenwald). Restées longtemps ignorées dans son propre pays – alors qu'il a poursuivi une carrière outre-Atlantique –, sa vie et son œuvre suscitent un intérêt grandissant dans la recherche française et internationale. Le succès du livre que lui a consacré Jérôme Garcin, Le Voyant (Gallimard, 2015, Folio, 2016), en est à la fois la cause et la manifestation.Cet ouvrage propose une vaste exploration de la vision intérieure paradoxale de Lusseyran qui, ayant perdu la vue à l'âge de 8 ans, s'est construit autour de la lumière et des couleurs dont il affirme garder la perception et qu'il magnifie par l'écriture. Différentes approches permettent d'étudier la place qu'il occupa au sein de la Résistance, l'attitude qu'il adopta face à la réalité tragique des camps de concentration, et d'interroger les catégories essentielles de son écriture.
Les normaliens, le mathématiques et la Grande Guerre 1900-1925
On pense souvent que la grande mortalité de jeunes mathématiciens pendant la Première Guerre mondiale a eu un impact négatif sur le développement de la discipline en France. Trop jeunes pour avoir combattu, les mathématiciens qui ont fondé le célèbre collectif " Bourbaki " dans les années 1930 sont en grande partie responsables de la popularité de cette opinion. C'est en voulant tester sa pertinence historique que l'on a cherché à mieux connaître la vie, l'œuvre et la mort des normaliens mathématiciens tués pendant la guerre, ainsi que la manière dont on a construit, puis entretenu leur mémoire.En s'appuyant sur une très riche variété de sources d'archives et imprimées, ce livre brosse un tableau extrêmement vivant de la formation des jeunes mathématiciens de l'École normale supérieure avant-guerre et les premières années de leur carrière d'enseignants et de chercheurs. Il explore l'impact du conflit sur la vie mathématique, y compris celle des blessés et des détenus. Il retrace comment on a lentement substitué au souvenir d'une œuvre mathématique plus ou moins remarquable et d'une conduite exemplaire sous le feu ennemi, souvent à la tête de petites sections de mitrailleurs, une mémoire statistique qui ne finit par retenir que le nombre des morts. Il esquisse, enfin, une réflexion originale sur l'émergence d'une pensée de l'élitisme républicain en partie basée sur les mathématiques.
À la fin des années 1930, le sociologue français Maurice Halbwachs publie plusieurs textes consacrés à la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936) de l'économiste britannique John Maynard Keynes, l'un des ouvrages phares du XXe siècle. Demeurés jusqu'à présent très confidentiels, ils possèdent une étonnante valeur didactique et permettent d'accéder rapidement au cœur de l'analyse keynésienne. Ils portent aussi un regard critique sur une économie politique trop souvent abstraite. Au final, c'est une remarquable leçon d'interdisciplinarité que nous délivre celui qui fut l'un des proches disciples d'Émile Durkheim et qui est surtout connu pour ses travaux sur la mémoire collective et les classes sociales.
Célèbre traducteur et commentateur de Hegel, historien de la philosophie contemporaine, passeur de textes et de concepts, professeur et directeur de travaux universitaires, Jean Hyppolite (1907-1968) fut véritablement un " protecteur de la nouveauté " et, partant, une figure essentielle au développement de la philosophie française du XXe siècle.Ce livre rassemble, avec les contributions de certains de ses anciens élèves les plus éminents (Badiou, Balibar, Macherey) et de chercheurs étrangers, un certain nombre d'écrits d'Hyppolite – dont son premier et son dernier essai – restés inédits ou devenus indisponibles, et qui n'avaient pas été inclus dans le volume de ses Études sur Marx et Hegel (M. Rivière, 1955) ni dans le recueil posthume Figures de la pensée philosophique. Écrits 1931-1968 (PUF, 1991). Un entretien de 1965 entre Jean Hyppolite et Alain Badiou complète le livre.
Ce volume s'ouvre avec des pages inédites du Journal d'Alain sur la littérature. Elles permettent d'entrer immédiatement au cœur d'une œuvre qui mêle étroitement philosophie et littérature, tant par ses thèmes que par sa forme, ainsi que le montrent les textes ensuite réunis. Ayant pour ambition de " changer la philosophie en littérature et, au rebours, la littérature en philosophie ", Alain pense la littérature et l'écriture, philosophe à partir de romans, de poèmes (Balzac, Stendhal, Valéry), et fait de sa propre écriture philosophique un travail littéraire, s'attachant au " style ". Sa postérité témoigne également de ce lien : comme professeur de philosophie, comme écrivain et journaliste (on lui doit 3 498 Propos quotidiens de 1906 à 1914), il a influencé toute la pensée et l'écriture entre les deux guerres et au-delà – de Georges Canguilhem ou Simone Weil à Jean Prévost ou Julien Gracq.
Ce volume interroge l'œuvre d'Halbwachs à partir de questions posées à la sociologie par la société d'aujourd'hui : suicide, précarité et pauvreté, logement, intégration urbaine, théorie de la connaissance sociologique, appréhension et mesure des " faits de population ", ou encore variations de la proportion des sexes à la naissance. En confrontant les analyses d'hier avec les problèmes actuels, les auteurs soulignent l'extraordinaire fécondité de ses travaux.
Tous les combats politiques de Simone Weil (dans le syndicalisme ouvrier, aux côtés des Républicains en Espagne, à Londres auprès de la France libre) se sont accompagnés d'une intense activité d'écriture, à la fois tentative d'agir sur la conjoncture politique et travail moral d'accommodation avec le monde. Cette écriture est à l'image d'un engagement impossible et nécessaire : sans illusion mais imposé par l'expérience du déracinement, en particulier dans l'épreuve de la guerre. Les lectures présentées ici, centrées sur les années 1937-1943, suivent les différentes formes que prend une œuvre écrite au contact du malheur, une écriture en guerre, déchirée et critique.
Plus de cent ans après la fondation des Cahiers de la quinzaine en 1900, Charles Péguy n'a pas encore la place qu'il mérite dans le cercle des grands auteurs français. Constituée de prose et de poésie tout à la fois classiques et novatrices, son œuvre fait le lien entre le XIXe et le XXe siècle.
Philosophe et médecin, Georges Canguilhem (1904-1995) a communiqué à la pensée philosophique française un élan nouveau, par la puissance d'une réflexion menée au carrefour des pratiques humaines, des sciences, des techniques et de la médecine. Cet ouvrage commente certains aspects toujours actuels de son œuvre : la rationalité du pathologique et la normativité humaine, la nature de l'histoire des sciences, l'idéologie scientifique...
À l'occasion d'un colloque organisé en 1988 à l'École normale supérieure, des chercheurs de quatre générations différentes se sont interrogés sur l'originalité du projet philo-sophique et sociologique de Raymond Aron. Un entretien inédit avec Aron et une bibliographie détaillée complètent ces textes.
Après de nombreux voyages en Europe, Élie Halévy, grand historien du socialisme, se décide en 1932 à visiter l'URSS. Sa femme, Florence, l'accompagne. Elle a laissé un journal précis, vivant, souvent drôle. Soucieuse de se faire une opinion personnelle sur le régime soviétique, elle tire de ses observations un bilan qui pourra surprendre le lecteur d'aujourd'hui.