Si la vie sociale est orientée par une diversité de valeurs, parfois conflictuelles, celles-ci deviennent visibles dans les choses que fabriquent, échangent et collectent les individus. Comment la diversité des valeurs s'insère-t-elle dans l'hétérogénéité de la matière pour lui donner une consistance sociale? En quoi la matérialité d'un objet donne-t-elle prise à plusieurs formes de valorisation? Ces questions ouvrent un champ d'étude au croisement de l'anthropologie des arts et de la culture matérielle.A partir d'enquêtes de terrain menées sur tous les continents, ce livre collectif élabore une réflexion commune dans le cadre du musée du quai Branly, en l'ouvrant à d'autres espaces dans lesquels les choses sont conservées et exposées avec des valeurs différentes. Les matérialités analysées dans ces études peuvent servir à la fabrication d'objets d'apparat (maisons, parures, statues) ou résulter de dégradations organiques (restes d'humains ou d'oiseaux) ou apparaître dans des infrastructures technologiques (séance de cinéma). En les inscrivant dans des biographies culturelles au cours desquelles les valeurs se transforment, l'étude de ces matérialités permet de suivre la genèse de valeurs que leur exposition dans un musée peut faire voir comme contradictoires. En revenant sur leur provenance, elle en dessine des futurs possibles.
Dahlhaus présente ici la réflexion musicale entre l'" époque-seuil " (Kosellek) située autour de 1770 et les décennies tardives du XIXe siècle, qui marquent le début de la modernité. Même s'il traite essentiellement de l'Allemagne, cet ouvrage est beaucoup plus large, dans la mesure où l'esthétique musicale allemande, en particulier durant la décennie décisive ouverte par la Critique de la faculté de juger de Kant (1790) et close par les Fantaisies sur l'art de Ludwig Tieck (1799), a été à la pointe de l'évolution européenne.Le romantisme fut un phénomène d'esthétique musicale avant de devenir un phénomène musical; il s'affirma comme mode d'écoute avant de pénétrer les styles et les formes de la composition. Parmi les faits les plus curieux de l'époque sur laquelle le livre est centré, figure la simultanéité des esthétiques musicales classique et romantique. Néanmoins, l'esthétique musicale classique demeurait vers 1800 rudimentaire, parce qu'il n'y avait pas de liaison efficace entre Vienne, le lieu du classicisme musical, et le foyer essentiel de développement de la réflexion sur la musique, le centre et le nord de l'Allemagne. À certains égards, le grand critique musical autrichien Eduard Hanslick († 1904), qui a été injustement traité de formaliste, est l'esthéticien qui a réussi à donner une formulation légitime de l'esprit de la musique classique.
Comme Don Quichotte ou Robinson Crusoé, Shylock est l'une des grandes figures de la littérature mondiale, que l'on ait lu ou pas, vu représenter ou non le Marchand de Venise. C'est aussi l'un des personnages les plus complexes et les plus controversés du répertoire théâtral: acteurs, metteurs en scène, critiques et spectateurs s'y sont confrontés depuis plus de quatre cents ans. Bourreau ou victime? Tragique ou comique? Comment Shakespeare le concevait-il, comment le percevons-nous depuis? Interprété par des acteurs de légende (Charles Macklin, Edmund Kean, Henry Irving, John Gielgud, Laurence Olivier...), Shylock a inspiré Hazlitt, Heine, Proust ou Henry James, non sans les troubler. Symbole économique convoqué par Marx ou Ruskin, il a aussi fait la joie des psychanalystes. Surtout, il a une place à part dans l'histoire de l'antisémitisme. Devenu un archétype, il permet une analyse passionnante des rapports entre la littérature et la vie. Après ce qu'a connu l'Europe au xxe siècle, nul ne peut voir Shylock sur scène sans frissonner.
À quelles conditions un objet inanimé peut-il, dans l'espace de la mémoire sociale, penser, prendre la parole ou répondre à un regard ? En apparence, l'objet semble agir comme l'être humain qu'il remplace. Poursuivant le travail amorcé dans Le Principe de la chimère, les recherches ici réunies montrent que, lorsqu'un lien de croyance s'établit, l'objet-personne agit en fait de manière bien plus complexe. Sous forme de jouet, de statuette rituelle, de monument funéraire ou d'œuvre d'art, cet être animé par la pensée est plus proche d'un cristal que d'un miroir.Dans le primitivisme moderne, il faut toujours qu'un objet soit une œuvre. Carlo Severi fait le choix inverse de considérer, d'une part, la production d'images comme un fait d'espèce, inséparable de l'exercice de la pensée (et donc universelle) et, d'autre part, " le jeu de l'art occidental " comme l'un des jeux possibles, et non le seul, que l'on peut risquer avec l'image. Pour développer cette hypothèse, il étudie trois types d'espace : abstrait, chimérique et gouverné par les lois de la perspective.Au sein d'une même culture, et dans toute culture, cohabitent plusieurs niveaux ontologiques, liés à l'exercice d'une pensée par l'image. L'anthropologie de la mémoire telle que la construit Carlo Severi conduit à une anthropologie générale des formes d'exercice de la pensée.
Ce livre prend position sur les enjeux et les visées des œuvres d'art en matière de vérité et de morale: il répond, par un retour sur l'époque des Lumières, aux questions contemporaines sur l'idée d'un perfectionnement moral de l'individu (S. Cavell, M. Nussbaum, S. Laugier). Les Lumières ont mis au cœur de la création artistique les émotions, les affects et les sentiments, mues par la conviction de l'efficacité d'une éducation esthétique de l'homme, d'une éducation sensible par le sensible, en l'occurrence par les œuvres.La vérité a-t-elle un sens en matière artistique? L'autonomie de l'œuvre, la liberté du créateur, la dévaluation de tout canon au nom d'un global turn qui contraint au relativisme rendent aujourd'hui difficile cette affirmation. Et la sincérité de l'auteur, même si elle relève d'un idéal moral d'authenticité et de la formation de l'identité (Ch. Taylor), ne saurait être un argument, tant elle tombe sous le coup d'un soupçon préjudiciel. La critique, elle, pourrait- elle prétendre au vrai? Mais il y a plusieurs interprétations possibles d'une œuvre, plusieurs interprétations qui touchent juste au sens où l'on dit d'une voix qu'elle est juste, d'un vêtement qu'il tombe bien.À partir de quelques études de cas, Danièle Cohn revient sur l'idée d'une fin de l'art (A. Danto) et propose de fonder jugement artistique et jugement esthétique sur la justesse.
La religion étrusque, dernier rempart du paganisme romain
Les Étrusques et le christianisme : les deux mondes sembleraient de prime abord n'avoir rien de commun. Pourtant, la doctrine étrusque offrait des vues sur l'au-delà, affirmait se fonder sur la révélation de prophètes et était consignée dans des livres sacrés – traits qui ont repris de l'importance face à la montée du christianisme. Cet ouvrage étudie la rencontre entre ces deux univers religieux et montre que la vieille religion étrusque a offert aux Romains païens une alternative par rapport au christianisme, ce qui explique son paradoxal regain de vitalité dans les derniers siècles de l'Empire romain.
Humaniste célèbre de la Renaissance italienne, auteur d'un De pictura et d'un De re aedificatoria devenus des ouvrages de référence de l'histoire des arts, mathématicien et géomètre accompli, témoin et partie prenante des débats sur la perspective et la vision naturelle, Alberti est aussi l'auteur d'un De statua. Depuis 1869, ce texte important, ici présenté dans une édition critique bilingue, était resté inédit – tout comme La Vie d'Alberti par lui-même. Entre statuaire antique et sculpture moderne, le De statua, texte théorique et technique à la fois, deviendra un texte clé des réflexions actuelles sur la sculpture, sa définition et ses fonctions.
Écritures et objets rituels chez les améridiens de nouvelle France
Quels sont les processus de transformation d'une forme symbolique ? Comment s'importe-t-elle et s'intègre-t-elle dans des traditions et des rituels qui lui sont étrangers ? Pierre Déléage nous livre ici une belle étude de cas. Son enquête, à la croisée de l'anthropologie et de l'histoire, a pour terrain les relations qui s'établirent, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, entre des missionnaires catholiques et les Micmacs, groupe amérindien peuplant les côtes atlantiques de l'actuelle frontière séparant le Canada des États-Unis.
Que penser de l'ampleur des résurgences actuelles du Moyen Âge ? Pourquoi sont-elles souvent le fait d'œuvres expérimentales ? En explorant les domaines du récit littéraire, du théâtre et du cinéma, cet ouvrage analyse comment, tout en revendiquant le brouillage des références et la discontinuité de leurs emprunts, des œuvres de fiction contemporaines exaltent les caractéristiques majeures de la poétique médiévale. Nous sommes ainsi invités à nous interroger sur ce qui, du Moyen Âge, nous importe aujourd'hui, et contribue à dessiner l'espace de notre " contemporain ".
La dispute de l'ornement – que nous ont rendue familière les travaux de l'historien de l'art Aloïs Riegl et le célèbre pamphlet d'Adolf Loos, tout comme les prises de positions des artistes du modernisme et du minimal art – a une longue histoire. Les Concepts préliminaires en vue d'une théorie des ornements de Karl Philipp Moritz, rédigés en 1793, constituent une étape décisive. Écrit par l'un des tenants de la Klassik, héritier de Winckelmann et de Herder, dont l'influence sur Goethe est notoire, l'ouvrage étonne par son enquête empirique et sa pratique de la description. Une théorie des ornements et non de l'ornement se construit dans l'étude des motifs, la connaissance des productions qu'un long voyage en Italie et l'observation des demeures berlinoises ont procurées à l'auteur.
Ce livre est un grand traité d'esthétique, le plus important venu d'Italie depuis L'Esthétique comme science de l'expression et comme linguistique (1902) de Benedetto Croce. En rupture avec la pensée crocéenne de l'œuvre accomplie, Luigi Pareyson (1918-1991) s'interroge sur le processus de formation lui-même, la forme formante dans son rapport à la forme formée. Inscrite dans la tradition morphologique inaugurée par Goethe et Dilthey, la pensée esthétique de Pareyson dépasse l'opposition entre historicisme et structuralisme et invente une approche originale de l'activité artistique.
Ce livre nous présente les résultats d'une vaste enquête ethnographique menée en Amérique indienne et en Océanie. Il analyse nombre de dispositifs visuels, tout en étudiant les contextes d'énonciation rituelle qu'ils impliquent, et démontre qu'il existe une voie de la représentation chimérique par laquelle s'inventent des arts de la mémoire non occidentaux. Un nouveau champ de recherche s'ouvre grâce à l'étude de ces traditions iconographiques et orales qui concerne l'histoire des arts autant que l'ensemble des sciences sociales – une anthropologie de la mémoire.