Gestion et écritures comptables à l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise (années 1320-1490)
La documentation riche et variée qui nous est parvenue de la seigneurie ecclésiastique de Saint-Martin de Pontoise permet de saisir les grands enjeux économiques et sociaux qui traversent les XIVe et XVe?siècles, période de crises et de reconstructions. La structure seigneuriale de l'abbaye est ainsi adaptée, à la marge, par les gestionnaires monastiques, sans être fondamentalement transformée, et la variété des pratiques de gestion de l'abbaye se matérialise dans un réseau documentaire dense et structuré autour de la rente.Par l'étude minutieuse de cette documentation, Anne-Laure Alard-Bonhoure mesure l'ampleur de la crise des années 1320-1490 à l'échelle individuelle?: les conditions d'exploitation difficiles mettent durement à l'épreuve notamment les salariés ruraux, qui sont de plus en plus nombreux à l'abbaye, pour répondre aux besoins de la reconstruction. C'est précisément cette vulnérabilité, occasionnant une importante production écrite –?rappels d'arrérages, sentences du prévôt, comptes avec l'abbé?–, qui met au jour d'une part les exigences seigneuriales de l'abbaye, et de l'autre, la dette contractée par ces exploitants et salariés, de plus en plus inévitable.
L'écriture occupe une place essentielle dans les activités économique et marchande. Les documents produits dans ce cadre n'ont pas seulement une fonction mémorielle ou testimoniale: ils sont au coeur même des processus de prise de décision, d'information et d'organisation qui rendent possibles la production de biens et l'échange commercial. Ils sont en ce sens performatifs: ils ne se contentent pas de raconter ou de documenter une action terminée, mais sont le moyen par lequel se construit la rationalité pratique des individus et des groupes. Ces écrits – comptabilité et correspondance marchandes, enregistrement et inscription d'actes de gestion et de transaction, organisation du prélèvement seigneurial de l'impôt ou encore confection de cadastres – éclairent ainsi les liens étroits entre activité économique et production documentaire.Les auteurs et autrices réfléchissent au concept de scripturalité, ainsi qu'aux enjeux posés par l'administration et l'organisation de la mémoire historique: autant de pratiques qui participent à la subsistance des hommes, à leur enrichissement ou à leur appauvrissement, à la réussite ou à l'échec de leurs entreprises.Les auteurs: Patrice Baubeau, Louis Bissières, Marc Bompaire, Julie Claustre, Anne Conchon, Harmony Dewez, Laurent Feller, Serena Galasso, Andrea Giorgi, Agnès Gramain, Jérôme Hayez, Marie-Françoise Limon-Bonnet, Jean-François Moufflet, Clémence Pailha, Romain Saguer, Lise Saussus, Sébastien Savoy.
Le Moyen Âge aimait les listes. En énumérant et en organisant les êtres et les choses, pour les gérer ou simplement pour les connaître, les listes médiévales éprouvaient la performativité de l'écriture dans une société où son usage restait restreint à une élite. Ces listes étaient une façon d'agir sur le monde, pas seulement une manière de se le représenter. La rédaction d'inventaires – de livres, de joyaux et d'outils –, de listes de serfs d'un domaine ou encore d'habitants d'une ville, comme l'utilisation littéraire d'énumérations inspirées de ces pratiques sociales, ont marqué la manière dont l'Europe médiévale a construit la relation entre hommes et objets dans la longue durée.Ce volume, deuxième volet d'un projet collectif consacré au " pouvoir des listes " au Moyen Âge, poursuit cette exploration anthropologique, rendue possible par la pratique de la mise en liste et la transmission de ces listes à l'intérieur des documents les plus divers. En confrontant les travaux de sociologues et d'anthropologues comme ceux de Bruno Latour ou Philippe Descola à la documentation médiévale, les auteurs révèlent la liste comme une forme singulière de domination sociopolitique et d'évaluation juridique et économique: elle lève le voile sur des relations entre humains et non-humains, entre sujets et objets, profondément différentes de celles qui se mettent en place avec la modernité.
L'évident et l'invisible est né de la rencontre de jeunes chercheurs économistes et historiens de l'économie. Réfléchissant aux processus de construction des données à partir desquelles chacun travaille, les auteurs réunis ici questionnent, ensemble, le statut des documents dont ils se servent quotidiennement pour proposer des textes issus de leur propre expérience scientifique. Une telle réflexion est au cœur du métier des historiens et relève précisément, pour eux, de l'évidence. En revanche, le travail de critique et d'élaboration des sources chiffrées à partir desquelles ils bâtissent leur raisonnement et établissent des calculs demeure le plus souvent invisible aux économistes. C'est pourquoi expliciter les évidences et rendre visible ce qui ne l'est pas au premier regard constitue la démarche commune à tous les auteurs de ce recueil. Il en résulte une collection d'essais, accompagnés de courtes introductions les situant sur un plan épistémologique, qui révèlent toute la richesse de cet échange disciplinaire entre historiens et économistes qui se double d'un dialogue fécond entre générations.
Depuis près d'un siècle, la notion de culture matérielle a été utilisée pour aborder la part matérielle des cultures dans des perspectives successives : émanant d'une lecture marxiste née vers 1920, elle participe de l'intérêt porté à la matérialité médiévale et aux techniques par les historiens et les archéologues dans les années 1950-1980. Depuis lors, elle se développe principalement dans le cadre de Material Culture Studies ancrées dans le post-modernisme. Si l'expression " culture matérielle " demeure couramment utilisée, elle semble s'être banalisée et il convient de s'interroger sur sa pertinence actuelle dans le champ des sciences humaines.Principalement centrées sur la période médiévale, les contributions rassemblées dans ce volume font dialoguer archéologues, anthropologues, historiens et géographes pour dresser l'historiographie de la notion de culture matérielle à l'échelle européenne et proposer une série d'études de cas illustrant la " vie des objets " à partir de sources et de terrains variés.
Circulation des richesses et valeur des choses au Moyen Âge
Pour les médiévistes s'intéressant à l'histoire de l'économie, la question de la nature des transactions intervenant entre les individus est centrale. S'ils admettent en règle générale que les règles de l'échange marchand ne s'appliquent pas toujours et que, en particulier, la rencontre de l'offre et de la demande est bien loin de rendre compte de l'ensemble des situations, ils sont encore dans l'incertitude en ce qui concerne l'articulation entre le marché et les circulations non marchandes. Ce livre propose d'aborder cette thématique en traitant du rapport entre la contrainte et la construction de la valeur au Moyen Âge. Les objets circulent parfois contre la volonté de leurs propriétaires, dans le cas du vol ou du pillage mais malgré eux aussi lorsqu'ils sont détournés de leur usage ou de leur fonction d'origine. Soustraits à leur possesseur par des processus économiques, par des procédures légales ou par la pure violence, ils finissent tôt ou tard sur le marché après avoir été ou non transformés. Ce livre aborde donc les questions soulevées par l'existence, à côté du marché et de ses règles, d'une vaste sphère non régie par les règles de l'échange marchand mais où les objets circulent quand même. Cela conduit les auteurs à aborder des sujets aussi essentiels que ceux de l'évaluation, de la conversion et de la contrainte en matière économique, à travers des thèmes comme le luxe, le gage, la caution, le troc, le vol, la saisie, le recel, proposant ainsi une approche renouvelée et nécessaire de la vie économique médiévale.
L'histoire économique ne jouit plus aujourd'hui en France du prestige qui était le sien du temps de Braudel et de Labrousse, mais loin d'être le refuge d'une poignée de nostalgiques, elle ne cesse de se renouveler. Fruit d'une initiative du CNRS, ce livre s'interroge sur sa situation actuelle et ses perspectives de développement: poids des héritages, crise des paradigmes, rapports avec les autres secteurs de l'histoire et les disciplines voisines, chantiers en cours et thématiques émergentes y sont étudiés par les meilleurs spécialistes. De surcroît, sortant de l'hexagone, il donne à découvrir des travaux qui, au niveau international, sont en train de renouveler l'histoire économique et représentent autant de défis pour les historiens français.Faisant justice des stéréotypes réducteurs, il montre enfin que l'histoire économique aide à penser la complexité et, en éclairant le présent par le passé, contribue à rendre intelligibles les problèmes de notre temps – des crises financières à la montée de la Chine en passant par la fin des campagnes ou l'accroissement des inégalités.
Mélanges d'histoire médiévale offerts à Monique Bourin
L'histoire sociale du Moyen Âge est aujourd'hui en pleine évolution : elle redéfinit ses objets et, construisant des approches originales, délaisse vieux paradigmes et anciennes périodisations, sans rien renier pour autant de l'acquis transmis par les générations précédentes. Ce livre s'empare des thématiques les plus renouvelées depuis les années 1990 – l'espace, l'écriture, la vie économique comprise comme l'une des modalités de la domination sociale. Ces différentes approches témoignent du dynamisme d'une discipline qui se place délibérément à la croisée des sciences de l'homme et de celles de la société, n'hésitant pas, pour enrichir ses analyses, à mobiliser les concepts de la sociologie et de l'économie. Des sciences plus classiques et plus techniques, comme la paléographie et la diplomatique, sont de la même façon convoquées pour saisir les raisons de l'inscription des choses et des faits dans des listes ou dans des récits. Au cœur de ces problématiques se retrouvent les notions de territoire, seigneurie, paroisse mais également des sujets qui rénovent l'histoire sociale, telle l'anthroponymie. L'histoire économique, quant à elle, dépassant les débats qui ont structuré son historiographie dans la seconde moitié du xxe siècle, cherche à définir les notions-clés de crise ou de commercialisation et s'interroge sur le fonctionnement concret de la société paysanne. Conçu comme un hommage à Monique Bourin et à son œuvre d'historienne, ce livre atteste de la richesse et de la fécondité de son enseignement ainsi que de son talent à transformer un champ d'études en guidant et fédérant les travaux de très nombreux chercheurs.
Le haut Moyen Âge a une identité propre et la société de cette période, profondément originale, diffère tout autant de la société de l'Antiquité romaine que de la société des temps féodaux. C'est en ayant à l'esprit cette spécificité que les auteurs ont composé ce recueil de textes à l'occasion d'une question d'agrégation. Afin de faire ressortir les caractères particuliers de cette période,ils ont rassemblé près de cent trente textes et documents choisis à l'intérieur d'une gamme typologique très large : documents de fouille, textes hagiographiques, notices de plaids, actes de vente, chroniques, poèmes épiques... Par leur organisation thématique, ces sources - republiées ou traduites ici pour la première fois - permettent de saisir dans les détails la nature, l'ampleur et le rythme des transformations sociales à l'oeuvre en Occident entre les VIe et XIe siècles.À visée pédagogique, ce livre est destiné aux étudiants et aux enseignants et a pour ambition de mieux faire comprendre une période certes fascinante mais d'une grande complexité. L'étude du haut Moyen Âge a fait l'objet, en effet, depuis la fin des années 1990, de profondes remises en cause méthodologiques. De nouvelles approches - qui ne cèdent en rien sur les exigences érudites de la méthode historique - sont apparues et ont enrichi la démarche scientifique par l'apport de problématiques relevant de l'anthropologie ; elles ont bouleversénos connaissances sur ces temps lointains. Par les choix que les auteurs ont opérés dans la documentation et par le classement qu'ils ont construit, ce livre prend toute sa place à l'intérieur des débats historiographiques et méthodologiques actuellement en cours.