En Europe, la fin du XIXe siècle s'accompagne d'une hantise du déclin, qui s'est exprimée en termes de dégénérescence. Dans des textes alarmistes au contenu parfois pseudo-scientifique, certains penseurs et savants britanniques s'inquiètent de l'usure " raciale " de la nation, du péril héréditaire et de la présence insidieuse du danger dans le corps social. La connaissance de ce contexte, marqué par la renaissance du genre gothique, permet de faire sortir de l'ombre des textes inquiétants et d'apporter un éclairage nouveau sur des romans célèbres, comme L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Le portrait de Dorian Gray, L'île du Dr Moreau, Dracula et la fiction de Conan Doyle consacrée à la figure de Sherlock Holmes.L'être dégénérant en perpétuelle mutation revit un passé personnel, familial et biologique. Son corps est à la fois étranger et reconnaissable, monstrueux et déchiffrable. Certains romanciers prônent la régénération, d'autres mélangent jusqu'à les confondre la morbidité et la puissance, le dégénéré et le défenseur social, le malade et le médecin, le fou moral et le fou de moralité. En créant des êtres si indignes qu'il va devoir les liquider, l'écrivain transforme la dégénérescence en création.
Scénographie de la confession dans le roman (Angleterre, France, Russie)
À partir de la fin du XVIIIe siècle, les mises en scène fictionnelles de l'aveu se multiplient. Cet ouvrage s'intéresse à la scène romanesque de confession telle qu'on la trouve représentée chez six autrices et auteurs issus des espaces anglais, français et russe: Ann Radcliffe, George Sand, Charlotte Brontë, Fédor Dostoïevski, Maxime Gorki et Georges Bernanos. La comparaison invite à se déprendre des catégories traditionnelles de l'histoire littéraire. En s'inscrivant dans une seule et même dynamique narrative, celle du roman à mystères, cette scénographie vient révéler plusieurs contradictions du partage public-privé-intime en contexte de création postromantique. Envisagée au prisme d'une histoire culturelle de l'aveu, une telle mosaïque de textes ne doit pas manquer d'entrer en résonance avec la prolifération hypermoderne des mises en scène de soi. Les paradoxes de leurs aveux imaginaires deviennent ainsi nos paradoxes.
La poéthique animalière des nouvelles de Rick Bass
Depuis de nombreuses années, l'écrivain et militant écologiste nord-américain Rick Bass constate la disparition de nombreuses espèces animales et de leurs habitats. Comment alerter sur l'inquiétante perte de la biodiversité et encourager à modifier nos comportements et nos pratiques envers les animaux ? Comment décrire la richesse et la fragilité de faune nord-américaine sans attirer les curieux dans des espaces menacés par la présence humaine ? Quel rôle peut jouer la fiction dans cette entreprise militante ?À travers l'étude des nouvelles de Rick Bass, cet ouvrage interroge la manière dont l'écriture fictionnelle joue un rôle essentiel dans la protection du monde non humain et dans la valorisation des modes d'être des animaux. Il adopte une approche pluridisciplinaire et propose sa contribution aux débats éthiques, philosophiques et esthétiques sur les rapports entre la littérature et les animaux.L'une des particularités de la poétique de Rick Bass est qu'elle sollicite la structure et la substance de l'écriture afin de faire éprouver l'infinie variété des modes d'existence qui composent le vivant. Grâce à un travail sur le rythme, les sonorités ou la syntaxe, l'écriture de Bass donne à ressentir la présence élusive d'un cerf, la nage circulaire de cygnes ou la souffrance muette d'une mule blessée. Elle nous oriente vers d'autres styles, d'autres phrasés, et amène nos propres façons d'exister vers de nouvelles conduites plus éthiques.Cet ouvrage, qui est la première étude en français consacrée à l'œuvre de Rick Bass, s'adresse plus largement à toutes celles et ceux qui s'intéressent à la représentation des animaux dans la littérature et dans les arts.
S'intéresser à la pensée et à la fabrique de la phrase, comme étant la veine de l'écriture de Woolf, c'est tenter de rendre compte de ce qui ne se laissera jamais saisir comme objet, mais ne cessera de se donner à entendre dans son rapport avec l'impossible. Dans son œuvre renouvelée de multiples façons, la phrase apparaît à la fois comme plus d'une et à nulle autre pareille. À s'engager dans cette lecture, l'ouvrage se démarque des diverses approches historicisantes qui d'une manière ou d'une autre réifient l'écriture de Woolf. Il invite plutôt à se mettre à l'écoute subtile des multiples frayages de la phrase, de la mobilité de la régie des voix qui la trament, de la pulsation des timbres qui la transportent, à travers des textes de genres différents dont elle brouille toute frontière. L'ouvrage choisit par ailleurs d'éclairer un corpus peut-être moins connu de l'œuvre woolfienne. Il s'adresse aux lecteurs de Virginia Woolf pour qui la phrase définit cette passion de la lettre, de la littérature.Chantal Delourme est professeur émérite de l'Université Paris Nanterre, où elle a enseigné la littérature britannique et la théorie littéraire. Spécialiste du modernisme et de l'œuvre de Virginia Woolf, elle a publié de nombreux articles et une monographie sur To the Lighthouse, intitulée Virginia Woolf, To the Lighthouse. Les arabesques du sens (2001).
Pour une stylistique de la chanson au XIXe sie`cle
La chanson est au cœur de la pensée littéraire du xixe siècle : de Chateaubriand à Verlaine en passant par Lamartine, Stendhal, Hugo, Musset, Michelet, Flaubert et Rimbaud, toute la littérature en parle. Populaire, politique, proche et inatteignable, celle qui a tant fasciné reste pourtant trop mal connue et rarement étudiée, considérée souvent et par beaucoup comme un genre mineur.Expression privilégiée de l'affectivité la plus intime mais aussi d'enjeux plus collectifs, la chanson dite " populaire " au xixe siècle est au centre de cette étude très documentée dont le corpus est essentiellement composé de chansons à thématiques sociales ou politiques, en prise avec l'actualité.Au-delà du prolifique Béranger – célèbre chansonnier français qui connut un large succès dans la première partie du xixe siècle et dont beaucoup aujourd'hui ne connaissent que le nom – qui l'écrit, qui la chante, quels sont ses enjeux, quelles sont ses formes, quels sont ses thèmes ? Ce livre a une triple ambition : offrir la première approche textuelle minutieuse de la chanson française du xixe siècle, montrer comment se construit et s'affirme, au cours de la première moitié du siècle, l'idée même de chanson populaire devenue si commune de nos jours, et exploiter un corpus méconnu d'une rare richesse.
Les livres de Christian Prigent sont autant de traces d'un effort chaque fois reconduit pour cerner un réel qui résiste à la proclamée réalité de toute représentation qui prétend en rendre compte. Ces livres successifs, et quel que soit le genre qu'ils investissent, montrent ainsi une subjectivité à l'œuvre. C'est-à-dire qui sans cesse se cherche, questionne et expérimente des formes, éprouve des idées, traque au plus près la singularité de la sensation, le tout sur fond d'une histoire politique avec laquelle elle veut toujours être en prise, pour mieux s'y engager, et engager la littérature avec elle. L'articulation du dit et du senti, celle du texte et de l'image, mais aussi la question de la responsabilité morale et politique de qui veut faire œuvre littéraire, sont parmi les thèmes principaux que cette étude se propose d'aborder en tentant de décrire le parcours d'un écrivain qui, depuis bientôt cinquante ans, écrit l'une des œuvres les plus prolifiques de la littérature française contemporaine.
Cartes et cartographies dans l'œuvre de Henry David Thoreau
Depuis les cartes anciennes qu'il a consultées et copiées jusqu'aux nombreux plans de géomètre qu'il a dessinés en tant qu'arpenteur professionnel, les cartes abondent dans les archives et la documentation de Thoreau. L'arpenteur vagabond s'intéresse à ces documents longtemps négligés par la critique et au rôle que cette familiarité avec le geste cartographique a joué dans le travail de l'écrivain. Ce parcours de l'ensemble de son œuvre montre que Thoreau, tout en mesurant parfaitement les limites et le biais idéologique de l'entreprise cartographique, y voyait aussi un outil irremplaçable de clarification et de mise au jour de phénomènes (humains et non humains) habituellement invisibles. Dans ses textes sur la nature comme dans ses essais plus explicitement politiques, la langue vagabonde et " extravagante " de Thoreau trouve ainsi dans les cartes un allié inattendu qui permet une redistribution polémique des spatialités et la mise en place d'un nouveau régime de visibilité.
Confronter les œuvres d'Aragon et de Ponge revêt des enjeux littéraires, politiques, anthropologiques. Ces deux figures des lettres du xxe siècle, liées aux avant-gardes, de Dada et du surréalisme (Aragon) à Tel Quel (Ponge), ont partagé fugitivement, durant la période de la Résistance, l'engagement communiste. Leur divergence croissante dans l'après-guerre et l'inversion relative du prestige symbolique accordé à chacun constituent un objet d'investigation dont l'intérêt dépasse les cas respectifs.L'enquête et la réflexion proposées dans ce livre s'attachent à situer les pratiques esthétiques selon un parcours en six parties qui associe à l'histoire littéraire les outils de la théorie de la lecture. À l'intertextualité, désormais classique, est ajoutée la notion d'arrière-texte (aux connotations aragoniennes), qui met au jour certains ressorts cachés de l'écriture-lecture. Il s'agit aussi, dans un esprit cette fois proche du lexique pongien, de prolonger une parole d'écrivain-lecteur en une contre-parole de lecteur-écrivant.S'immiscer dans ce dialogue à distance, ce n'est pas seulement essayer de comprendre ce qui différencie et relie en profondeur les œuvres, c'est aussi, peut-être, par l'oscillation entre ces deux régimes de lecture littéraire, tenter d'élaborer, pour son propre compte, une pensée de l'humain.
Stevenson, modèle d'une nouvelle fiction latino-américaine (Bioy Casares, Borges, Cortázar)
La reconnaissance internationale de la littérature latino-américaine au xxe siècle a souvent été interprétée par la critique comme le résultat de l'influence du modernisme, notamment du fait de la lecture, par les auteurs latino-américains, de James Joyce et de William Faulkner. Certains auteurs du continent, pourtant, suivent des stratégies différentes: Borges, Bioy Casares et Cortázar utilisent les fondements de la littérature de genre (fantastique, policier, horreur, roman d'aventure) pour opérer une reconfiguration des équilibres entre le champ littéraire et les injonctions politiques, nationales et culturelles. Dans cette optique, le travail de Robert Louis Stevenson sur les publics populaires et le croisement des genres peut être vu comme une référence idéale, du fait de sa complexité et de son souci constant d'expérimentation. Cette étude a donc pour objectif de proposer une comparaison de ces stratégies, en utilisant les outils conceptuels et théoriques de la littérature mondiale. Stevenson, de cette manière, pourra apparaître comme un modèle herméneutique pour penser et résoudre certains dilemmes géographiques et littéraires.