Le patrimoine culturel recouvre une réalité complexe. Il capte l'ensemble des problématiques de son époque. Il est le lieu où ne cessent de s'articuler des enjeux normatifs, sociaux, politiques, épistémologiques, où se reconfigurent en permanence les rapports entre passé, présent et futur et où les échelles varient, du local au global. L'ère numérique, avec les transformations qu'elle induit dans les processus de patrimonialisation comme dans l'étude des patrimoines, accroît cette complexité tout en appelant de nouveaux regards critiques.Telle est la perspective du présent ouvrage, qui déplie et déploie deux grandes thématiques. Il aborde d'abord les historicités, les spatialités et les reconfigurations temporelles du patrimoine, puis sa production sociale et enfin les médiations, appropriations et ressentis auxquels il donne lieu. Il traite ensuite de l'articulation entre matérialité, immatérialité et dématérialisation, en étudiant cette dernière et ses effets, l'évolution des connaissances sur la matérialité des oeuvres, les usages du numérique pour l'accès au patrimoine et sa médiation.Nourri d'un travail collaboratif d'ampleur, il met en lumière les nouvelles pollinisations entre le monde académique et les institutions culturelles patrimoniales et l'accroissement qualitatif qu'elles constituent. Il montre également que l'interdisciplinarité, si elle est conçue comme un processus de co-traduction et de co-construction, constitue un formidable levier pour l'avenir de la recherche sur les patrimoines.
" Rares sont les entreprises où vos collègues ne perdent jamais une occasion de vous soutenir ", indiquait le slogan d'une récente campagne de recrutement de l'Armée de terre française. Rares aussi sont les métiers où l'engagement requis comprend une telle extrémité; le choix de servir sous les drapeaux implique d'admettre l'éventualité d'avoir à donner ou recevoir la mort. Mais comment y parvient-on? Comment l'institution militaire s'y prend-elle pour transformer de jeunes civils en soldats professionnels prêts à se battre y compris jusqu'au sacrifice de leur propre existence?Fondé sur une enquête ethnographique conduite dans un centre d'instruction militaire auprès de recrues et de leurs formateurs, cet ouvrage interroge les modalités concrètes et enjeux de la fabrique des combattants. Devenir soldat nécessite d'incorporer des techniques et savoir-faire spécifiques, d'aguerrir son corps, d'accroître sa force et sa résistance au prix d'une discipline intense. Mais au-delà, il s'agit d'intégrer une communauté soudée et homogène, de " faire corps " autour de valeurs, de rituels et de traditions partagés qui dépassent le strict cadre de l'instruction opérationnelle. Homme de métier, le soldat est un homme qui doit faire la preuve de ses qualités " viriles ": courage, dépassement de soi et capacité à (faire) endurer la violence se trouvent ainsi au cœur de l'esprit de corps que l'on cherche à transmettre. En dévoilant la pluralité des enseignements militaires, cette recherche met au jour le caractère complexe et parfois ambigu d'une formation dans laquelle il s'agit tout à la fois d'apprendre à combattre et parader.À la croisée d'une ethnologie des savoirs, du corps sexué et des identités socioprofessionnelles, cet ouvrage propose un regard sur une institution politique de premier plan, aujourd'hui particulièrement visible dans l'espace social et pourtant encore largement inaperçue des sciences sociales.
Mutations contemporaines des métiers du patrimoine
Quels métiers se cachent derrière les décors que constituent les galeries de musées, les salles d'archives ou les façades des monuments, plus familières au public que les magasins, réserves, salles de tri ou de restauration où se fabrique le patrimoine?Ces activités professionnelles sont, de fait, une part tenue dans l'ombre d'un spectacle patrimonial qui se mesure habituellement en milliers voire en dizaine de milliers de visiteurs, et en dizaine voire en centaines de millions d'euros de budget. Part de l'ombre mais aussi parfois métiers de l'ombre: les acteurs qui retiennent ici l'attention des chercheurs – gardiens, médiateurs, amateurs en voie de professionnalisation – ne sont pas toujours ceux que les médias mettent volontiers au premier plan. Lorsqu'elles deviennent terrain de l'ethnologue, ces professions souvent sollicitées pour porter un discours assertif sur le patrimoine apparaissent en proie au doute, loin de leurs certitudes scientifiques: conservateurs en mal d'objets, restaurateurs incertains face aux défis du temps, chercheurs en proie à des injonctions contraires…Aux ethnographies attentives rassemblées dans ce volume, véritable auscultation d'un monde professionnel, il convenait d'offrir une large mise en perspective. Métiers anciens ou nouveaux, tous s'inscrivent en effet dans le paradigme d'un tournant qui a bouleversé jusqu'au sens du mot " patrimoine ". Dès lors, celui-ci désigne moins un instrument de conservation de l'histoire nationale qu'une forme, de plus en plus individuelle, d'expérience du passé, repoussant indéfiniment les limites du potentiel patrimonial, et délaissant les assurances de l'expertise scientifique au profit des incertitudes de la démocratie culturelle.
En dépit du flou qui l'entoure, utiliser le terme de mémoire s'agissant de l'immigration semble aujourd'hui aller de soi. Qu'en est-il du patrimoine de l'immigration ? Le patrimoine apparaît-il quand la mémoire sort de l'espace privé pour entrer dans le domaine public ? Est-il une forme cristallisée et institutionnalisée de la mémoire ? Est-il soluble dans la mémoire ? Au-delà d'une indispensable clarification des termes, s'interroger sur l'articulation mémoire, patrimoine et immigration nécessite d'en comprendre les enjeux dans le débat public. La patrimonialisation ne peut être regardée indépendamment ni des attentes et des luttes pour la reconnaissance des immigrés, ni de son usage par les pouvoirs publics comme instrument de pacification.Des enquêtes menées dans le sud-ouest de la France, dans le Centre, en Lorraine, en Franche-Comté ou encore à Paris et à Nanterre analysent le regard des acteurs de la mémoire de l'immigration (associations, artistes, chercheurs…), questionnant les rôles et les stratégies développées par chacun et bousculant nos cadres d'interprétation.
Sur le terrain, le bon ethnographe s'attache à ce qui empêche ses interlocuteurs de dormir tranquilles, à ce qui les passionne, les fait débattre à l'infini, les met en joie ou en larmes, les émeut… En France et en Europe, il y a à peine un demi-siècle que le patrimoine fait pleinement partie de ces causes pour lesquelles individus et collectifs se mettent en mouvement. Le présent ouvrage analyse cette révolution discrète mais profonde. Il la saisit dans la diversité concrète des mobilisations. Les unes sobres, les autres expansives. Certaines canalisées par le savoir-faire administratif, quelques-unes débordant tous les cadres et s'épanchant en résistance inattendue, spectaculaire, radicale.Une question anthropologique court dans cette enquête : comment est-on sorti du " temps des monuments ", au cours duquel ces derniers incarnaient de façon très persuasive la patrie, grande ou petite, pour entrer dans le " temps du patrimoine " où se forge un tout autre rapport sensible au passé et où s'inventent des engagements inédits ? Ce nouveau régime patrimonial, plus ou moins promu à l'échelle du monde, se heurte un peu partout à des réactions politiques puissantes que la comparaison ethnologique nous aide à identifier.
Depuis une vingtaine d'années, le tatouage est devenu omniprésent dans les sociétés occidentales : il décore les peaux, défraie la chronique, préoccupe les chercheurs. Or, les études de ces derniers font la part belle aux significations que les personnes tatouées attribuent à leur modification corporelle sans jamais se pencher sur le pendant professionnel de cet engouement, pourtant visible à travers l'efflorescence des studios de tatouage. Qui sont les tatoueurs ? Des artistes ? Des artisans ? Leur travail répond toujours à une double nécessité : satisfaire les désirs d'une clientèle désormais majoritairement profane tout en réalisant les " plus beaux " tatouages. Mais quels critères, notamment esthétiques, guident la réalisation et l'exécution d'une image encrée ? Comment les professionnels de l'encrage négocient-ils avec les hommes et les femmes qui viennent leur soumettre leur projet ? En examinant les processus de production des tatouages, cet ouvrage met au jour la manière dont s'apprend, se reproduit et se renouvelle cet univers visuel. Il dévoile les qualités dont doivent faire preuve les aspirants pour gagner leur place dans ce monde et y construire une réputation d'" artiste-tatoueur ".
En Corse, dans les années 1970, une société villageoise s'accroche à la montagne. Elle y maintient, avec le concours de la diaspora, un modèle d'existence en commun largement hérité de son passé proche mais dont les évolutions en cours sur le littoral semblent préparer à terme la disparition. Ce serait alors la fin d'une longue histoire sur laquelle cette société avait gravé sa signature, à défaut d'y exercer sa mainmise. La Corse est, en effet, l'abri d'une civilisation dont le creuset est villageois. Les textes rassemblés dans ce volume dressent le portrait de certaines des institutions portant la marque de cette civilisation et reconstituent ses valeurs. Un idéal en organise le jeu ; il est cultivé dans chaque vallée, dans chaque communauté de village, dans chaque maisonnée : l'idéal de souveraineté.
Qu'est-ce que le patrimoine culturel immatériel ? Pourquoi inventer une nouvelle catégorie de patrimoine dans un monde déjà obsédé par la conservation des traces du passé ? Peut-on protéger des expressions culturelles vivantes sans les figer ? À qui revient la charge de le faire ? À qui appartient ce patrimoine ? À travers une analyse des politiques culturelles récemment engagées par les États à la suite de la Convention de l'Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), cet ouvrage propose de premières réponses à ces questions.En effet, cette catégorie patrimoniale, qui suscite des attentes et un engouement croissants parmi les acteurs sociaux et politiques à l'échelle planétaire, est à l'origine de vives controverses entre acteurs institutionnels et scientifiques. Modelée sur une acception anthropologique de la culture, cette notion ne peut que retenir l'attention des ethnologues, qu'ils choisissent de s'investir dans le chantier d'élaboration de ce patrimoine, ou d'observer à distance l'" effet Unesco " sur des objets tels que la samba de roda ou les fêtes de la Tarasque.Au cœur du débat anthropologique contemporain, l'institution du patrimoine immatériel est trop récente pour avoir déjà fait ses preuves. Mais les difficultés qu'elle pose, aux acteurs sociaux comme aux institutions, en France aussi bien qu'à l'étranger, montrent que loin de simplement élargir le champ patrimonial elle implique des changements profonds. Les contributions ici réunies en analysent certaines des limites et des potentialités.
On parle beaucoup des Tsiganes en France actuellement, mais les connaît-on vraiment ? Que signifie être Tsigane aujourd'hui en Europe ? Quelles sont les relations entre Tsiganes et non-Tsiganes ? Quelles sont leurs pratiques culturelles ? Leurs rituels et croyances ? Leur histoire ?Les Roms font aujourd'hui l'objet de toutes les attentions : politiques, médiatiques, sociales et même… policières. Cette actualité appelle à redonner la plus large visibilité à quelques études importantes menées sur différents groupes Tsiganes en Hongrie, en France et en Espagne – études devenues avec le temps difficiles d'accès pour le grand public. Telle est l'ambition de cet ouvrage qui rassemble des articles parus ces dernières années à propos des Tsiganes dans la revue d'anthropologie Terrain. Le volume, abondamment illustré, est en outre présenté par un texte récent inédit de Patrick Williams, qui fait le point sur les études consacrées aux Tsiganes, et livre des clés essentielles pour saisir les divers aspects de ce que recouvrent aujourd'hui les mots : être Tsigane.