Chaque mois, les libraires du Comptoir dévoilent leurs coups de cœur du moment.
Le Mal du Voyage, est un bel ouvrage qui attire l’oeil : avec sa couverture en images 3D (palmes, lunettes de soleil et valise) qui se chevauchent et s’intervertissent tantôt en fonction de la lumière ou de l’inclinaison par laquelle on prend le large volume entre ses mains, il intrigue à raison. Ce catalogue d’exposition du Musée d’Ethnographie de Neuchâtel de 2020-21 rend remarquable bien compte des prises de parti muséographiques singulières où l’interractivité et la participation active des spectateurs.trices et lecteurs.rices est un élément central du MEN dans cette exposition sur le tourisme. La légèreté de l’activité ne semble jamais se départir d’une critique pluriforme des différentes formes de tourisme actuel et des motivations qui les animent. Il s’agit en effet d’un panel très varié de classes sociales qui est examiné à la loupe; “begpackers” peu regardant sur leur éthique du voyage (qui décrit un tourisme blanc importun de baroudeurs.euses quémandant une aide financière à des populations déjà accablées par la pauvreté), alpinisme de masse qui cause un lourd bilan écologique sur l’Everest, aides humanitaires aux relents racistes et coloniaux, tourisme sexuel et bien d’autres formes. Le MEN propose à titre d’exemple des courts métrages pour dénoncer divers stéréotypes que les touristes semblent emmener avec eux — qui sont par ailleurs toujours accessibles par le biais de qr code sur youtube — mais questionnent également les échanges culturels et bouleversements sociaux et économiques qu’amènent ces flux de populations étrangères. Notons de plus une galerie de photos qui enrichit cette critique des tourismes avec des installations mettant en scènes des touristes avec des masques africains créés pour la demande croissante des populations occidentales, ou encore comment l’Ayurveda est ridiculeusement exploitée par les multinationales — le MEN emploie ici l’humour en créant un questionnaire virtuel pour une “thérapie” fictive ou réelle de wellness —. Relevons également une approche qui n’oppose pas touristes et locaux mais recontextualise à une échelle globale et géopolitique en proposant des interviews d’hommes et femmes Cubain.es, Indonésien.nes, de Zanzibar qui témoignent de leurs échanges financiers ou non dans le cadre de relations sexuelles et/ou romantiques, de même que la question des enfants métisses nés du tourisme sexuel en Thaïlande qui sont largement discriminés et parfois abandonnés, ou encore une série de photos et témoignages de touristes confrontés à la mort de réfugiés sur les plages d’Espagne.
Cet ouvrage permet ainsi d’analyser les échanges sociaux entre touristes et locaux, les conséquences économiques et environnementales du tourisme de masse ainsi que la question du privilège qui entoure le voyage et de l’éthique.
Cet ouvrage traite du code Hays, établi en 1930, qui désigne l’ensemble de règles devant être respectées lors de la réalisation de films par le cinéma hollywoodien. Dans un premier temps, les auteurs de l’ouvrage reviennent sur la genèse du code et présentent ses principaux acteurs, fournissant des informations essentielles à sa compréhension, en rendant par exemple compte de l’influence du contexte politique et religieux. La seconde partie de l’ouvrage permet de suivre l’évolution du code en présentant ses versions préparatoires ainsi que sa version définitive. Il s’agit d’un ouvrage très instructif sur un point important de l’histoire du cinéma, qui permet de porter un regard plus nuancé sur un texte généralement perçu comme emblème de la censure artistique.
Une Anthropologie des polémiques à enjeux religieux : le cas des affaires de blasphème
Ce coup de cœur à mi-chemin de l’été sent un peu la rentrée par le sérieux de son sujet : le blasphème qui, parmi les polémiques religieuses, a une vie très longue, très tenace et très active. Il y a tout juste deux ans, l’œil de Salman Rushdie a brutalement été aveuglé, pour toujours, par une lame, après 33 années de lumière depuis la fatwa de 1989.
L’anthropologue Jeanne Favret Saada a été invitée par la société d’ethnologie de Nanterre à prononcer une conférence dans le cadre annuel des conférences Fleischmann. Elle a choisi d’aborder un sujet qu’elle connaît bien, depuis longtemps (1965, La religieuse de J. Rivette), très contemporain et toujours aussi peu traité par les anthropologues. Ce qu’elle questionne encore. Les historiens eux semblent plus enclins, hardis (?), à se saisir du thème. Ce que nous constaterons au Comptoir le 6 septembre par l’intervention de Gerd Schwerhoff à propos des dieux maudits.
Or donc Favret aborde dans l’exposé les affaires contemporaines de blasphème dans les États qui ont pour fondement la séparation du politique et du religieux, les nôtres en somme. Publiée, c’est cette conférence que je conseille vivement, laquelle rejoint les treize autres de la collection « Conférence Eugène Fleischmann » que je conseille tout autant. Car je dois avouer qu’en quelques pages et peu de temps ces élégants formats nous rendent rapidement lisibles les questions traitées, et bien plus subtils ou intelligents dans nos réflexions, pour finir !
Les outrages analysés par Favret-Saada concernent les christianismes, cas en France du film de Scorsese (La Dernière Tentation du Christ 1988) ; les islams en Occident, l’affaire des Versets sataniques de S. Rushdie en Grande-Bretagne, puis les caricatures dans la presse danoise puis norvégienne ensuite française jusqu’à l’assassinat des collaborateurs du journal satirique Charlie Hebdo. Les faits étudiés proviennent d’enquêtes menées par l’anthropologue au présent augmentés des données historiques consignées par elle depuis donc l’année 1965. « Leur mise ne perspective historique fait de 1989 une année pivot. » s(11).
Mais comment fonctionne cet emballement ? En paraphrasant l'autrice, un romancier, un cinéaste ou un dessinateur de presse produit une représentation du sacré religieux de l'islam ou du christianisme que les dévots de ces religions jugent blasphématoire, au nom d'une autorité qu'ils estiments absolue. Ils protestent, les fidèles des autres religions les soutiennent, et les partisans des artistes répliquent dans la presse. Le monde s'embrase. Pour convertir en délit discriminatoire ce qui est, à leurs yeux, un blasphème, ils demandent une censure au nom des Droits de l'homme, dont pourtant la liberté d'expression en constitue bien un. Un sacré retour au Politique.
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Atlantique nous invite à un voyage à travers dix villes emblématiques de la côte atlantique, de Dublin à Saint-Jacques-de-Compostelle. Fruit d'une collaboration entre guides géographes et artistes, cet ouvrage présente leurs récits et expériences personnelles, qu'ils soient habitants ou connaisseurs de longue date. Chaque escale offre une immersion dans les coulisses et l'intimité de ces villes. Idéal pour les voyageurs avides de découvrir des itinéraires uniques, des détails méconnus, et d'apprécier les transformations et réalités locales.
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